ESTAMPES

TAILLE DOUCE & AUTRES PROCÉDÉS

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Détail de 'Lignée de conteuse'

 

 

La gravure est un art très ancien. Ce sont, au fil des siècles, les artisans d’art — orfèvres, émailleurs, damasquineurs — qui en découvrirent les procédés. Grâce à leur technique sans cesse peaufinée, ils firent de la gravure un art majeur auquel s’adonnèrent les plus grands artistes. De Rembrandt à Picasso, peu restèrent insensibles à la variété de ses techniques, de l’eau-forte au burin, et à la qualité de ses matières premières, du cuivre rouge au beau papier de chiffe.

Mais, alors qu’un dessin ou une peinture n’existe qu’en un unique exemplaire, la plaque gravée permet de multiplier les images. Cette propriété lui fit jouer un rôle essentiel auprès de toutes les classes sociales, du XVe au XIXe siècle. Elle se fit image pieuse, carte à jouer, planches savantes pour les lecteurs de l’Encyclopédie, billets de banque, timbres, illustration de presse, caricature politique et même publicité et photographie avant l’heure — comme en témoignent les très beaux portraits de Nanteuil des Granges de Port-Royal.

Mass media de l’ancien régime, son rôle fut aussi important que celui du livre. Qu’elle émane de graveurs attachés à la cour ou d’ateliers installés dans les grandes villes, elle est le reflet des préoccupations sociales et psychologiques du milieu aristocratique et du monde urbain bourgeois et populaire.

Ce n’est qu’au XIXe siècle, à l’apparition des procédés industriels (héliogravure, offset) qu’elle cesse d’être le seul moyen de reproduire une image. En perdant ce monopole, elle devient moins familière, mais redevient un art à part entière. Et si comme toute œuvre, elle est soumise au marché de l’art et à la spéculation, sa capacité à créer des multiples lui permet d’être accessible pour un plus large public d’amateurs.

On appelle « estampes » une série d’épreuves imprimées à la main à partir d’un même moule gravé par un artiste graveur.

Les moules sont en bois, en métal ou en pierre…

À chaque type de moule correspond une technique de gravure particulière, des outils et un mode d’impression spécifiques…

moule série

types de moules

Une estampe, pour être qualifiée d’originale, doit être conçue et gravée par le même artiste, contrairement à la gravure d’interprétation où l’artiste, dessinateur ou peintre, confie la reproduction de son œuvre à un graveur artiste ou simple artisan.

Comment les distinguer

L’estampe originale est authentifiée par la signature de l’artiste dans la plaque ou, pour la gravure contemporaine, par sa signature manuscrite au crayon sur chaque épreuve.

Au bas de l’estampe d’interprétation sont mentionnés le nom de l’artiste qui a conçu, dessiné ou peint l’œuvre copiée suivi des mots latins, ou de leur abréviation : invenit (a inventé), delineavit (a dessiné) ou pinxit (a peint) et le nom du graveur suivi de sculptsit ou incisit.

LA LITHOGRAPHIE

Ce n’est pas une technique de gravure à proprement parler, le lithographe dessine directement sur la pierre avec une encre ou un crayon gras, il ne creuse pas. Une préparation chimique, dosée en fonction du dessin, fixe ce gras sur la pierre.

lithographie

Impression

Avant d’encrer, on humidifie la pierre, seules les parties dessinées sont grasses, repousseront l’eau et garderont l’encre. En deux ou trois coups de rouleau, l’encrage est terminé. Il ne restera plus qu’à faire glisser pierre et papier sous le râteau d’une presse lithographique pour obtenir un tirage.

Bref historique

Inventé par accident par un écrivain, Senefelder, qui recherchait un moyen économique d’imprimer lui-même ses pièces, le procédé lithographique fut oublié pendant près de vingt ans pour connaître, en France notamment, un extraordinaire engouement auprès des peintres, illustrateurs et affichistes. Certains utiliseront le procédé pour reproduire et diffuser leurs œuvres, d’autres pour explorer la technique en lithographiant eux-mêmes, à même la pierre. Delacroix, Daumier, Toulouse-Lautrec, Bonnard, Matisse comptent parmi ces derniers.

LA GRAVURE SUR BOIS

C’est une gravure en relief, on l’appelle aussi taille d’épargne car le graveur épargne son dessin en creusant le bois tout autour. Seules, les parties saillantes seront encrées, apparaissant donc en noir sur le papier ; les blancs correspondent aux parties évidées.

Impression

On encre en passant un rouleau chargé d’encre à sa surface. Pour imprimer, il suffit de presser fortement le bois sur une feuille de papier, mais le résultat est plus satisfaisant si on utilise une presse constituée d’un plateau qui s’abat brutalement sur le papier et le bois. Les noirs apparaissent alors en de beaux à plats réguliers tandis que les blancs ressortent en relief.

presse boisgouge bois

 

 

 

 

 

 

Il existe deux façons graver le bois.
La première dans le sens de la fibre dans la hauteur de l’arbre : c’est la gravure en bois de fil (Bois de fruitier : poirier, cormier, etc.). Le dessin est détouré au canif tandis que les grandes surfaces sont évidées à la gouge.
La seconde dans le bois scié perpendiculairement à la fibre : c’est la gravure en bois debout (Cubes de buis réunis en une planche), beaucoup moins fragile que celle en bois de fil ou un coup de gouge malheureux peut emporter toute une fibre. La gravure en bois debout peut se graver plus finement au burin.

Bref historique

La gravure en relief (bois de fil) précéda la gravure en creux (métal). On date les premières estampes de la fin du XIVe siècle, bien avant Gutemberg et ses caractères mobiles. Ces textes et des images furent imprimés à partir de la même planche : on les nomme des incunables, du latin incunabula (berceau). Ils représentent la petite enfance de l’imprimerie. D’abord grossière et anonyme, la gravure sur bois devint, avec les premiers grands maîtres, une expression raffinée, d’abord en Italie puis en Europe du Nord.

LA GRAVURE EN TAILLE DOUCE

La gravure sur métal ou taille douce est une gravure en creux. À l’inverse de la taille d’épargne, chaque trait creusé dans la plaque apparaîtra en noir sur le papier.

presse métalpointes métal

 

 

 

 

Impression

Un seul coup de rouleau ne suffit plus, il faut faire pénétrer l’encre dans les traits gravés, enlever le surplus avec un chiffon, dégager les blancs à la main et presser le papier de telle sorte qu’il aille chercher l’encre dans les creux du métal. La presse taille douce, plus complexe que la presse à bois est indispensable pour effectuer ce travail.

Bref historique

Il n’est pas aisé de dater les premières estampes en taille douce. Quand et où eut-on l’idée de reproduire sur papier ce qui fut sans doute à l’origine de simples plaques d’orfèvrerie ou nielles ? C’est vraisemblablement en Italie vers le milieu du XVe siècle. Les premières estampes furent gravées avec le burin, outil des orfèvres par excellence. De l’Italie, cette technique se propagea en Allemagne, puis aux Pays-Bas et en France. Des artistes comme Dürer, Lucas de Leyde et Jean Duvet en furent les premiers virtuoses.

LE PAPIER

L’histoire de la gravure est liée à celle du papier. Ce n’est qu’au XIVe siècle que l’usage du linge de corps devenant fréquent, on eut suffisamment de matière première, c’est-à-dire de chiffons, pour fabriquer ce papier de chiffe sans lequel la gravure n’existerait pas.

préparation papier

 

 

 

 

Préparation

Bien avant l’impression, le papier est plongé dans une cuve d’eau pure. Cette opération l’ayant rendu souple, il ne restera plus qu’à l’égoutter et à le brosser soigneusement avant de le poser sur la presse. Le tailledoucier manipule toujours le papier humide avec des mitaines afin de respecter sa propreté. Une fois imprimé, chaque gravure est protégée par un papier de soie et mise à sécher à plat, entre deux cartons.

L’ENCRE DE GRAVURE

encre de gravure

 

 

 

 

Il s’agit d’une encre grasse à base d’huile de lin cuite et broyée avec des pigments noirs ou de couleurs. L’encrage se fait le plus souvent à chaud car l’encre tiède se fluidifie et pénètre plus facilement dans les sillons gravés du métal.

encrage1

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L’IMPRIMEUR TAILLEDOUCIER

Un autre savoir faire que celui du dessinateur ou du graveur est indispensable à la qualité de l’estampe : celui de l’imprimeur tailledoucier. Si l’artiste grave la plaque en mettant sa technique au service de sa créativité, le tailledoucier l’imprime et prolonge, par sa connaissance du papier, des encres et de la presse, le travail de l’artiste.

Dans la gravure d’interprétation, le rôle de l’imprimeur fut aussi reconnu que celui du graveur, et son nom ou celui de son atelier figure parfois, lui-aussi sur les épreuves.

Certains graveurs contemporains, pour conserver la maîtrise de leur œuvre du début jusqu’à la fin, tiennent à imprimer eux-mêmes leurs cuivres.

atelier d'impression

LES TECHNIQUES SPÉCIFIQUES À LA GRAVURE EN CREUX SUR MÉTAL

POINTE SÈCHE

Le graveur attaque le cuivre nu avec une pointe généralement d’acier, qui se tient comme un crayon. En traçant un sillon, la pointe soulève sur le bord une frange de métal appelé barbe. À l’impression, cette barbe retient l’encre et donne au trait de pointe sèche sa note enveloppée caractéristique.

BURIN

Le cuivre nu est attaqué à l’aide d’une tige de métal carré ou en losange, le burin, affûté en biais et montée dans un pommeau de bois que l’on pousse avec le creux de la main. Le burin trace un sillon en enlevant un copeau de métal, ce qui laisse à la taille un bord franc et donne un trait aigu au tirage.

MANIÈRE NOIRE

Le cuivre est criblé de petits trous à l’aide d’un berceau, sorte de lame striée montée sur une poignée et arrondie à l’autre extrémité. Ce côté rond et hérissé de pointes est promené sur toute la plaque par un mouvement de poignet : on berce en long, en large et en diagonale jusqu’à ce que le cuivre donne au tirage une surface uniformément noire. Le graveur gratte ensuite des petits creux avec un grattoir et un brunissoir pour retrouver des surfaces planes donnant les blancs et les demi-teintes de son dessin.

burinberceau

 

 

 

 

 

LES TECHNIQUES DE L’EAU-FORTE

EAU-FORTE SIMPLE

La plaque de cuivre est recouverte d’un vernis. Le graveur dessine à la pointe à travers ce vernis, mettant à nu le cuivre qui est ensuite mordu à l’eau-forte (acide nitrique, perchlorure de fer ou tout autre mordant). La pointe, glissant sur le cuivre sans l’attaquer, donne au graveur plus de liberté et permet un trait souple, dont la profondeur est fonction de la durée de la morsure.

AQUATINTE

Le graveur laisse tomber sur sa plaque de cuivre des grains de résine plus ou moins gros. La plaque est ensuite chauffée jusqu’à ce que ces grains durcissent et forment autant de petits points résistant à la morsure. Le cuivre est creusé à l’eau-forte autour de ces grains, sauf dans les parties réservées au vernis.

PROCÉDÉ AU SUCRE

L’artiste trace son dessin sur le cuivre au pinceau ou à la plume, à l’aide d’une solution de sucre et d’encre de Chine. La plaque est ensuite recouverte d’un vernis. Lorsque ce dernier est sec, la plaque est plongée dans l’eau, le sucre en se dissolvant soulève le vernis et laisse le cuivre à nu à l’endroit du dessin. Le reste demeurant protégé par le vernis, on procède ensuite comme pour l’aquatinte.

VERNIS MOU

Le cuivre est recouvert d’un vernis souple sur lequel est déposé un papier à grain. L’artiste dessine au crayon sur ce papier auquel adhère le vernis à l’endroit du trait. On mord à l’eau-forte le cuivre mis à nu par le dessin.

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BREF HISTORIQUE

Toutes ces techniques n’ont pas été inventées en même temps. Si le burin est l’outil primordial des premières estampes sur cuivre, de grands burinistes comme Dürer s’étaient déjà risqués à l’eau-forte. C’est un Lorrain, Jacques Callot, qui sut en tirer le meilleur parti, notamment en en perfectionnant les vernis. Au XVIIe siècle, Abraham Bosse consacrera un ouvrage aux procédés de l’eau-forte. Cependant, à ses débuts, cette technique était utilisée comme succédané au burin. Ce sont les Italiens et les Hollandais (Rembrandt) qui la libérèrent de cette imitation, en usant de toutes les audaces techniques que permet l’acide.

Inventée en Hollande, la manière noire fut surtout prisée au XVIIIe siècle par les graveurs anglais. L’aquatinte, l’équivalent de la manière noire en technique d’eau-forte, fut mise au point grâce au grain de résine par Le Prince. De là naquit la gravure en couleurs que les beaux aplats réguliers de cette technique mettaient en valeur. Chaque technique a son histoire, ses graveurs et ses amateurs.

La gravure offre une telle qualité artistique et une telle diversité qu’un véritable amateur d’art ne peut que se laisser séduire.

gravure

 

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